Jean-Claude Séguy, directeur de la méthode de lecture 1,2,3 Lune ! Un parcours au service de l’apprentissage de la lecture
Jean-Claude Séguy directeur de la collection 1.2.3 Lune ! vous fait part de son expérience d’enseignant et de directeur en éducation prioritaire, puis de conseiller pédagogique, et enfin d’IEN. Toutes ces années, jalonnées de constats, d’analyses et d’expérimentations, l’ont amené à concevoir la méthode de lecture 1.2.3 Lune ! Expérimentée pendant 10 ans en éducation prioritaire, cette pédagogie répond à la grande hétérogénéité des élèves, aux nombreuses difficultés rencontrées par ces élèves souvent allophones ainsi qu’aux problèmes de comportement des élèves n’ayant pas acquis un statut d’élève.
Un parcours au service de l’apprentissage de la lecture
25 ans en éducation prioritaire, enseignant, directeur d’école, directeur d’école d’application, conseiller pédagogique.
« Les 25 premières années de ma carrière, de1978 à2004, se sont passées sur le terrain de l’éducation prioritaire où j’ai commencé comme enseignant en Cycle 3. J’ai vite pris le poste de directeur d’une grande école en éducation prioritaire puis de directeur d’école d’application. Je suis ensuite devenu conseiller pédagogique, puis Inspecteur de l’éducation nationale du premier degré à Vaulx-en-Velin dans le Rhône, en banlieue lyonnaise, dans une circonscription 100% REP +, de2004 à2019.
En tant qu’enseignant, j’ai été chargé du soutien à l’apprentissage de la lecture dans tous les niveaux de classes élémentaires pendant une dizaine d’années.
J’étais enseignant supplémentaire dans les écoles pour venir en aide aux élèves qui en avaient besoin. Je n’étais pas chargé d’une classe mais je prenais en charge des groupes d’élèves pour les aider à résoudre un certain nombre de difficultés. Donc pendant 10 ans j’ai occupé cette fonction à mi-temps. J’ai travaillé exclusivement la lecture au Cycle 3 en remédiation, pas en apprentissage initial. On avait constaté que les grosses lacunes en lecture impactaient profondément l’ensemble des apprentissages pour les élèves et que ça les mettait vraiment en très grande difficulté pour poursuivre leur parcours dans de bonnes conditions.
Plus tard, dans mon poste de conseiller pédagogique, j’ai reçu la mission d’accompagner les néo-titulaires entrant dans le métier d’enseignant, notamment dans le domaine de l’apprentissage de la lecture.
Des années de constats, d’analyses et de réflexions sur les modalités d’apprentissage
Voici tous les constats que j’ai pu faire en tant qu’enseignant : une pauvreté de vocabulaire, une très mauvaise perception de la chaîne orale et ça depuis la maternelle bien sûr, qui se traduisait par une très mauvaise conscience des liens phonographiques, et très peu de stratégies de compréhension des textes puisqu’il y avait déjà de grosses difficultés à déchiffrer.
En parallèle de ce travail mené au Cycle 3, nous avions engagé une réflexion dans l’école, sur le travail à effectuer au Cycle 2 sur l’apprentissage de la lecture pour limiter les impacts négatifs constatés.
Des constats d’abord très flagrants ont été faits dans les classes de CP. Le premier c’était bien sûr une très grande hétérogénéité des élèves, difficile à gérer, mais avec des fonctionnements essentiellement en classe entière. Très peu d’attention était portée à ce qui avait été fait en maternelle au préalable, et il n’y avait aucune prise en compte de l’état des connaissances phonologiques des élèves avant de se lancer dans l’apprentissage de la lecture. Résultat : on constatait selon les classes et les années, un taux de non-lecteurs en juin au CP entre 15% et 40% dans notre école.
Pendant mes longues années d’observation en classe, j’ai toujours été très dubitatif quand je voyais les élèves penchés sur une fiche où on leur demandait « coche quand tu entends la syllabe ou le mot ou le son etc… ». Les élèves pratiquaient cet exercice, les mots cibles étant générés par des dessins, sans qu’il n’y ait à aucun moment aucune oralisation de quoi que ce soit. Or quand on demande « coche quand tu entends » il faut que les oreilles soient en jeu.
Donc partant de là, pendant une dizaine d’années et jusqu’à mon départ, on a imaginé et expérimenté diverses choses pour essayer de répondre à ces séquelles identifiées. Par exemple, nous avons décidé de proposer une oralisation systématique des choses quand on demande aux élèves de les entendre, et c’est devenu un parti-pris fort pour nous.
Et nous avons pu constater des avancées significatives sur bon nombre de points.
À la recherche d’améliorations ….
J’avais mis en place à cette période le dispositif coup de pouce clé à l’école mais qui restait encore de la remédiation adressée à quelques élèves élus de chaque classe, et qui n’impactait absolument pas la manière d’enseigner la lecture et d’apprendre dans le quotidien de la classe. La réflexion devait donc être portée plus largement sur l’ensemble des élèves.
C’est à ce moment-là que je suis devenu Inspecteur en éducation prioritaire pendant un an, puis en milieu rural pendant deux ans avant d’être sollicité comme adjoint à l’inspecteur d’Académie de l’Ain. Au cours de ces trois années je me suis trouvé en observation de classes de CP et j’assistais très souvent à des séances de lecture selon un scénario identique : dans 95% des cas, tous les élèves étaient rassemblés au point de regroupement devant le tableau, pour déchiffrer des syllabes ou des mots. Immanquablement les premiers à monopoliser la parole étaient les meilleurs qui décortiquaient quelques syllabes, ensuite l’enseignant les stoppait pour laisser un peu la place aux autres. Passait ensuite le peloton et on arrivait aux moins habiles, interrogés explicitement par l’enseignant. Et là long temps de silence, agitation des autres, et très souvent soit un élève proposait une réponse, la réponse attendue, soit l‘enseignant à force de rappels tenait le groupe en respect, mais sous la menace de se faire déborder induisait très fortement la réponse attendue de l’élève interrogé. On se retrouvait avec un élève qui n’avait plus qu’à reprendre ou répéter ce qu’il avait cru comprendre qu’on attendait qu’il dise. Ce temps collectif durait de 15 à 30 minutes selon les cas.
Le bilan est le suivant : les meilleurs avaient effectué 60% de l’exercice et bénéficié de 50% du temps de parole, le peloton avait bénéficié de 30% du temps et effectué 40% de l’exercice, et les moins bons avaient effectués 10% de l’exercice et bénéficié de 20% du temps et souvent en ne faisant que reprendre une réponse soufflée par un autre ou induite fortement par l’enseignant.
C’est exactement l’inverse qu’il faudrait pratiquer dans les classes et c’est ce que nous avons adopté comme parti pris fort dans notre proposition de méthode 1.2.3 Lune !, à savoir que, dans les temps guidés par l’enseignant, le temps dédié aux élèves les plus en difficulté est le temps le plus important et inversement, les meilleurs bénéficient de moins de temps de guidage par l’enseignant mais de plus de temps en autonomie.
… et d’expérimentations
Plus tard, en tant qu’adjoint de l’inspecteur de l’académie de l’Ain, j’ai été chargé de piloter pour le département une expérimentation sur la lecture menée dans l’académie de Lyon. Cette expérimentation a mis en évidence plusieurs principes qui semblaient très favorables à un bon apprentissage de la lecture : tout d’abord une approche de cet apprentissage qui fasse une meilleure place au lien entre la phonologie et la morphologie, entre l’oral et l’écrit . Une organisation de cet enseignement par groupes de besoins pour l’apprentissage du code et de la combinatoire d’une part puis pour l’apprentissage de la compréhension d’autre part. Parce que des bons codeurs ne sont pas forcément des bons « compreneurs », et inversement. Mais cette organisation nécessitait de réfléchir au troisième principe, c’est-à-dire au développement des capacités d’autonomie des élèves pendant que l’enseignant s’occupait d’un autre groupe. Enfin, cette organisation s’appuyait sur une différenciation pensée en adaptation aux nouveaux besoins, les objectifs d’apprentissage restants les mêmes pour tous mais en adaptant le cheminement et les niveaux de complexité des notions vers le même objectif.
J’ai été sollicité au cours de cette expérimentation par la DGESCO, dirigée par Jean-Michel Blanquer à l’époque, pour intervenir à Paris dans un séminaire national des inspecteurs, pour expliquer ces premiers constats et les effets très positifs de cette organisation par groupes de 20, alternativement guidés par l’enseignant, à condition que cette autonomie soit préparée et outillée.
J’ai ensuite quitté l’Ain pour revenir dans mon département d’origine le Rhône où j’ai pris en charge de 2011 à 2019 une circonscription en éducation prioritaire + et j’y ai retrouvé les mêmes écueils qu’évoqués précédemment dans mes postes antérieurs, les mêmes taux d’échecs en fin d’année de CP de l’apprentissage de la lecture. J’ai repris contact avec Michel Zormann pour qu’il m’accompagne dans la mise en place d’un dispositif expérimental de développement du langage en maternelle articulé avec un programme expérimental d’apprentissage de la lecture au CP et au CE1.
Après deux années de mise en place, le processus était rodé, et dès l’année 3, pour des élèves qui avaient vécu le dispositif deux ans en maternelle et un an au CP, les enseignants de CE1 faisaient le constat qu’ils recevaient en début d’année, des élèves ayant tous, sans exception, au moins le niveau atteint en fin de CE1 en lecture par les générations précédentes.
Nous avons été considérablement aidés dans ce cheminement par les temps importants de formation supplémentaires des enseignants, puisqu’en REP + nous avions 18 demi-journées à notre disposition et, ces dernières années, le dédoublement des classes de CP et de CE1. Néanmoins j’ai pu faire le constat les dernières années de présence dans ma circonscription, en visitant systématiquement toutes les classes de CP de la circonscription, qu’à 90% il n’y avait plus aucun élève non-lecteur dans ces classes en janvier-février, alors que je vous rappelle qu’il y en avait parfois jusqu’à 40% en juin auparavant.
Le bilan après huit années de développement de ce programme dans les écoles concernées démontrait sans équivoque l’efficacité de l’organisation de l’apprentissage de la lecture selon des activités ritualisées, avec des approches complémentaires de travail en petits groupes de besoins guidés et de travail en groupes autonomes, selon des dispositifs différenciés.
Ces organisations facilitent pour l’enseignant la pratique d’un enseignement explicite, et la gestion d’une différenciation fine dans la progression des élèves en encodage/décodage, ainsi qu’un enseignement explicite et effectif des stratégies de compréhension, en laissant une place prépondérante à l’oral en production comme en réception, fondamentale pour l’appropriation des liens phonographiques.
Alors quelles étaient les composantes essentielles de ces dispositifs expérimentés ?
- La prise en compte, dès le début de l’année, des apprentissages réalisés en maternelle, donc prise en compte par exemple des albums travaillés et des acquis des élèves en phonologie.
- Grâce à un temps d’observation dès les premiers jours, un positionnement des élèves selon 3 groupes de besoins en encodage et décodage à partir de leur niveau de maîtrise de la chaîne orale et de leur conscience phonologique, ainsi qu’en compréhension
- Une organisation différenciée de l’enseignement de la lecture par groupes de besoin à côté de temps collectifs au cours desquels l’enseignant fixe les objectifs, les objets d’apprentissage et les méthodologies.
- Une initiation à l’autonomie des élèves, par l’organisation matérielle (principes de tiroirs d’autonomie), par son outillage avec des règles d’utilisation, des fiches dites de travail ambulant, des fiches correctives, des plans de travail autonome, et tout ça en lien avec le cheminement d’apprentissage au fil de l’année.
- Des composantes pour l’enseignement lui-même :
- un enseignement explicite selon des activités ritualisées et évitant les distracteurs ;
- un appui sur une oralisation systématique des syllabes et des mots et des textes donnés à travailler.
6. un réel apprentissage des stratégies de compréhension : il ne s’agit pas simplement de poser une question pour voir si l’élève a compris mais bien de lui faire acquérir des stratégies de compréhension, c’est donc un enseignement de la compréhension et pas un fonctionnement de la compréhension. - un travail important du vocabulaire qui doit être précis et élevé, donnant lieu à des catégorisations, des associations, des manipulations, tout ça lié à des exercices d’observation de la langue et non pas à des règles à appliquer.
- Dès le début de l’année, un apprentissage de l’écriture et de la production d’écrits associé à celui de la lecture.
- Et en parallèle, un apprentissage explicite de la copie et des stratégies de copie. Là aussi c’est souvent le parent pauvre, on fait copier les élèves systématiquement mais sans jamais leur donner de clefs ou de stratégies pour qu’ils progressent dans cette copie.
Donc toutes ces composantes forment la base structurelle de la méthode 1.2.3 Lune ! que nous proposons.
On poursuit la lecture ?
> On vous explique tout sur les composants de la méthode : le code et la compréhension
> Jean-Claude Séguy, directeur de la collection 1.2.3 Lune !
> Comment est abordé le travail lexical dans 1.2.3 Lune ?
> Une méthode de lecture différenciée en groupe de besoins
> Pourquoi faire étudier deux graphèmes simultanément ?
> Comment travailler la fluence avec 1.2.3 Lune !
> Les stratégies de compréhension dans 1.2.3 Lune !
> Associer les familles à l’apprentissage de la lecture
> Un dispositif inédit pour travailler toutes les compétences de la lecture
> L’oralisation des supports de travail est fondamentale
> Apprentissage de la lecture : la 1re semaine est fondamentale