Les stratégies de compréhension dans 1.2.3 Lune !
Bénédicte Gastellu a été Conseillère pédagogique départementale spécialisée en maternelle. Elle est actuellement Principale adjointe du collège Paul Eluard (Vénissieux).
Autrice d'1.2.3 Lune ! elle nous fait part de l'importance des stratégies de compréhension dans l'apprentissage de la lecture.
La compréhension était très peu enseignée en tant que telle mais elle devient un réel objet d’enseignement
Tout d’abord, je vais vous énoncer les principes que nous avons retenus, en tant qu’auteurs, sur l’enseignement de la compréhension.
Le constat dont je vais vous faire part, nous l’avons tous expérimenté car nous avons été formateurs d’enseignants, nous avons beaucoup été dans les classes mais aussi parce que nous avons été enseignants nous-mêmes. C’est un constat qui est largement partagé dans la littérature sur la didactique de l’enseignement et de la compréhension mais qui est aussi partagé par des auteurs comme Roland Goigoux, Sylvie Cèbe ou Maryse Bianco qui constatent que la compréhension, si elle est largement évaluée dans les classes, n’était que très peu enseignée jusqu’à il y a quelques années en arrière. Depuis 3-4 ans, l’enseignement de la compréhension est vraiment devenu un objet d’enseignement, ce qui n’était vraiment pas le cas avant. Auparavant, nous évaluions un élève sur un objet pour lequel nous ne l’avions pas formé. Ainsi, les élèves qui s’en sortaient étaient ceux qui avaient une culture littéraire et ceux qui avaient un environnement familial qui leur permettait justement de déployer inconsciemment des stratégies de compréhension.
Rendre explicites les stratégies de compréhension
En partant de ce constat, nous nous sommes dits qu’en tant qu’enseignants, nous visons prioritairement certains élèves, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas les clefs de l’école. Nous avons donc cherché la meilleure façon de les aider à être de meilleurs « compreneurs ». En rendant explicites ces stratégies qui sont spontanées chez des élèves qui sont doués, ceux qui réussissent bien, ceux qui sont très proches de la chose scolaire, nous rendons visibles les stratégies qui sont à l’œuvre quand on comprend un texte, quand on est un lecteur expert. Il est alors possible d’enseigner les habiletés de façon séparée ou alors de façon intégrée, plus complexe. C’est le choix que nous avons opéré.
La stratégie métacognitive
Le modèle part donc du lecteur expert, de ce que fait un lecteur expert lorsqu’il comprend et donc la tentative qui est la nôtre, et celle de Roland Goigoux et Sylvie Cèbe avant nous lorsqu’ils ont fait paraître un ouvrage qui s’appelle Narramus, est d’enseigner la compréhension par des stratégies explicites dès l’école maternelle. Ce modèle-là est le plus proche du nôtre parce que c’est un modèle qui prend en compte l’enseignement de la lecture de façon intégrative et surtout qui met l’enfant dans des situations complexes de compréhension où il a beaucoup de choses à reconstruire, beaucoup de stratégies à mobiliser pour parvenir à se faire une représentation mentale du texte qui soit organisée, cohérente et complète. C’est notre culture d’auteurs mais il y a d’autres méthodologies qui partent plutôt des habiletés de compréhension.
Par exemple, trouver une anomalie dans un texte, se rendre compte qu’il y a une anomalie parce qu’il y a eu un défaut de lecture et donc qu’il nous manque une information. C’est ce que nous déployions lorsque nous sommes en train de lire, que nous perdons le fil et que nous tournons des pages pour revenir en arrière.
Cette stratégie-là, est une stratégie métacognitive de haut niveau. En d’autres termes, en tant que lecteurs experts, nous sommes conscients que lorsque nous ouvrons un livre, nous sommes susceptibles de perdre la compréhension, d’aller ailleurs que dans les pages du livre ou de revenir en arrière par exemple. Nous sommes alors capables de nous apercevoir que nous avons perdu le fil de notre compréhension, de déployer une stratégie qui va nous permettre de rétablir le sens en revenant en arrière jusqu‘au dernier point où nous nous rappelons de l’histoire et par conséquent de reprendre la lecture. Nous pouvons donc relire en étant bien conscients cette fois que nous ne devons pas perdre le fil et que nous devons aller plus loin dans la représentation que nous nous faisons de la situation, c’est un exemple de stratégie qui articule plusieurs habiletés. L’élève, quant à lui, est très peu conscient de ce qu’il se passe lorsqu’il décroche. Toutes ces habiletés successives correspondent à la stratégie du « comment je fais quand je m’aperçois que j’ai perdu le fil du sens de l’histoire que je suis en train de lire ? ». C’est une stratégie de haut niveau métacognitive très complexe. Pour les élèves, nous en sommes là pour les grandes classes c’est-à-dire pour des CM2 ou pour des 6e.
Les inférences au CP
Au CP nous sommes beaucoup plus modestes que cela. A ce niveau, les élèves vont seulement apprendre à résoudre une inférence. Tous les textes de littérature comportent des inférences, des blancs, l’implicite, c’est-à-dire qu’on va passer d’un événement à un autre sans lien logique, dit explicitement, et donc, le lecteur parce qu’il a l’habitude de lire, parce qu’il connait le schéma narratif, va être capable d’inférer la suite.
Les liens de causalités impliquent des inférences (exemple de l’allumette)
Les enfants ne sont pas capables de faire cela naturellement, ou en tout cas pas tous. Les élèves qui sont en difficulté scolaire, qui sont notre cible principale, ne sont pas capables de le faire spontanément car il est très difficile de rétablir les liens de causalité, qui sont les plus durs à rétablir car ces liens de causalité impliquent des inférences. L’inférence est donc un type de raisonnement qui permet de reconstruire… par exemple, si nous prenons la devinette suivante : « Je pense à un objet qui a un bout rouge et qui est capable d’allumer un feu. » Il faut donc faire une inférence car il faut penser à un objet, ici en l’occurrence, un objet qui a un bout rouge et qui est capable d’allumer un feu. Il faut avoir des connaissances pour pouvoir se dire que la réponse à cette devinette est une allumette. Il n’est pas dit qu’il s’agit d’une allumette, c’est un implicite, donc il faut réaliser une inférence. C’est une inférence de petit niveau parce qu’en vérité tout le monde, même les enfants, savent ce qu’est une allumette et quel est l’effet que produit une allumette lorsque je la frotte.
Les séries d’habilités à mettre en place pour résoudre une inférence
C’est ainsi que nous procédons lorsque nous souhaitons apprendre aux élèves les stratégies à mettre en place pour résoudre une inférence. Cette stratégie repose sur une succession d’habiletés. La première habileté consiste à détecter l’inférence. Pour cette habilité, nous allons évidemment aider les professeurs à mettre le doigt sur l’implicite et plus précisément sur la nécessité de réaliser une inférence. L’élève à partir de ce questionnement doit formuler des hypothèses. Donc la deuxième habileté est de formuler des hypothèses en étant capable d’envisager qu’il puisse y avoir plusieurs solutions. Ensuite, il faut aller chercher des indices dans le texte qui vont servir à confirmer ou infirmer les hypothèses.
Le choix de dissocier le déchiffrage et la compréhension grâce à différents supports et le choix de l’oral
Cependant, en CP les élèves ne savent pas lire. Donc nous avons décidé, tout comme Roland Goigoux et Sylvie Cèbe, de dissocier les supports dans lesquels on apprend à déchiffrer des supports dans lesquels on apprend à comprendre, et ce dès l’école maternelle. L’un des résultats de l’enquête lire-écrire nous a conforté dans l’idée qu’il ne faut pas demander deux choses à la fois à l’élève : nous n’allons pas demander à l’élève d’à la fois déchiffrer et comprendre. Donc la méthode consiste à lire le texte à l’élève, car de cette façon nous allons éviter la surcharge cognitive en demandant une chose trop complexe à un enfant. Nous avons donc fait le choix de travailler sur des textes entendus ce qui va permettre de soulager l’enfant d’une partie de la tâche, qui est le déchiffrage.
Donc nous travaillons sur des textes entendus et c’est pour cela que nous avons obtenu qu’il y est un QR code qui renvoie l’élève et sa famille sur l’histoire entendue, car l’alliance avec la famille est très importante. C’est un choix que nous avons fait pour dégager l’attention cognitive de l’enfant sur les stratégies de compréhension et pour qu’il réponde aux bons questionnements.
Personnellement, je refuse d’utiliser le mot question parce que l’enseignement de la compréhension tel qu’on l’entend communément c’est répondre à des questions de lecture. Et c’est un parti pris que nous n’avons pas choisi non plus dans notre méthode. On n’apprend pas à comprendre à un élève en lui posant seulement des questions de lecture. Par contre on lui enseigne à répondre à des questions de lecture et pour répondre à des questions de lecture, on va mettre en œuvre des stratégies spécifiques. Cependant, la question de lecture est une tâche scolaire d’évaluation à laquelle on doit former l’élève.
Grâce au choix des textes entendus, à la dissociation précédente, l’enfant va créer une image mentale
Ainsi, nous avons fait le choix du texte entendu, des histoires entendues et donc quelle stratégie allons-nous enseigner à l’élève ? Nous allons par exemple lui apprendre à se faire une représentation mentale la plus complète possible de la situation. Selon Roland Goigoux, une représentation mentale correspond à « se faire le film de l’histoire ». Personnellement, je n’aime pas trop cette image du film de l’histoire parce que c’est un peu comme si dans la tête de chacun il fallait déclencher un dessin animé à chaque fois. Sauf que nos cerveaux ne fonctionnent pas tous de la même façon, donc c’est pour ça que nous avons choisi le support de la carte heuristique, de la carte mentale.
La stratégie la plus complexe, celle qui est du plus haut niveau, mise à part la stratégie métacognitive dont je vous ai parlée tout à l’heure, c’est celle qui consiste à faire réaliser à l’élève, à lui faire concevoir dans son esprit, une représentation mentale la plus complète de l’histoire. C’est pour cela que nous avons un pictogramme cerveau.
L’importance de la carte mentale et comment elle se construit
Donc, pour apprendre à concevoir la représentation mentale de l’histoire, nous avons fait le choix d’établir avec l’élève en classe une carte mentale, une carte mentale dans laquelle on va trouver les personnages, les lieux, les questions « qui ? Quoi ? Où ? », car c’est très important de contextualiser les personnages avec le « Qui ? » ou le « Où ? ». Le « Quoi ? » quant à lui, correspond à tous ces liens de causalité dont je vous parlais tout à l’heure qui font l’objet d’inférences, de raisonnements cognitifs de la part de l’enfant pour comprendre pourquoi le loup va dans la forêt par exemple. Alors pourquoi le loup va dans la forêt ? Dans le petit chaperon rouge, il va dans la forêt parce qu’il veut manger le petit chaperon rouge. Il sait qu’il veut aller chez sa grand-mère, il veut donc le manger. Par contre dans c’est moi le plus fort de Mario Ramos, je ne sais pas si vous connaissez cet album, le loup va dans la forêt pas du tout pour manger quelqu’un, il va dans la forêt pour que tout le monde lui dise que c’est lui le plus fort.
Donc en vérité, les liens de causalité ne sont pas les mêmes selon les histoires et selon la culture que nous avons aussi du récit où de l’histoire, nous pouvons formuler des hypothèses différentes. Par exemple, pour un enfant qui n’aurait, comme connaissances, que l’histoire du petit chaperon rouge, ils vont vous dire que le loup va dans la forêt parce qu’il veut manger le petit chaperon rouge ou les 3 petits cochons par exemple. Ce sera sa seule hypothèse. Sauf que si on lui a lu et qu’il a donc un patrimoine culturel riche, il aura lu ou on lui aura raconté c’est moi le plus fort et donc le loup peut aller dans la forêt pour d’autres raisons.
La théorie de l’esprit et la différence entre les questions extractives et inférentielles
Donc dans cette carte mentale, les liens de causalité sont représentés par des flèches, où il est demandé à l’enfant de réfléchir « au pourquoi on en est là ? Qu’est-ce-qui s’est passé avant ? Qu’est-ce-qui va se passer après ? » Et surtout, nous allons demander à l’enfant d’entrer dans la tête du personnage, c’est ce que nous appelons la théorie de l’esprit, c’est-à-dire le support théorique qu’il y a derrière, c’est tout le support qui consiste à élucider la théorie de l’esprit qui est en quelque sorte une série d’expériences qui montre qu’un enfant est capable à partir d’un certain âge de se mettre à la place de quelqu’un d’autre. Dès leur plus jeune âge, les enfants savent très bien où leur maman range les biscuits, qu’ils l’aient vu ou non ranger les courses. Il ne faut pas avoir 8 ans pour le savoir et ils vont donc se diriger vers la bonne porte du placard. La théorie de l’esprit c’est alors « tiens où maman a rangé les biscuits ? Elle a l’habitude de les ranger là donc je vais aller voir là. » C’est être capable de se mettre à la place de maman pour savoir où maman range les biscuits.
C’est un court exemple pour vous montrer que la théorie de l’esprit nait environ à partir de 4 ans mais être capable de se mettre à la place d’un personnage quand on a 6 ans, quand on est un élève de CP, c’est être capable de se dire quelles sont les intentions du loup ? Quelles sont ses croyances ? Quels sont ses buts ? Que cherche-t-il ? Sinon nous ne sommes pas capables de résoudre l’inférence et de faire les hypothèses pour les résoudre.
Donc dans cette représentation mentale, il y a à la fois des choses très explicites comme les personnages, les lieux, le temps, est-ce-que c’est le jour, est-ce-que c’est la nuit ? Est-ce-que l’on est en Novembre ou Février ? Et puis il y a des choses très implicites qui sont liées, surtout les éléments de causalité et la théorie de l’esprit, c’est-à-dire les éléments de croyances, les buts des personnages qui sont en jeu. Il y a des études qui montrent qu’un enseignant dans une classe pose 3 fois plus de questions extractives, c’est-à-dire des questions dont les réponses sont dans le texte, que des questions inférentielles. Donc nous, nous inversons le processus. Le plus facile pour un élève c’est de répondre à une question extractive si la réponse est dans le texte, et donc il y a des élèves qui vont, quand on leur pose des questions, recopier des bouts de texte parce qu’ils savent que la réponse est dans le texte ou parce qu’ils ne savent pas qu’il y a des réponses qui ne sont pas dans le texte. Donc nous notre pari c’est de leur dire attention, il y a des questions qui ont des réponses dans le texte et puis il y a des questions pour lesquelles tu vas devoir élaborer un raisonnement. Donc c’est cela que nous visons, même si nous visons également qu’ils soient capables de répondre à des questions, puisque je vous ai dit que ça c’est vraiment pour qu’ils soient bons en évaluation parce qu’aujourd’hui quel que soit le niveau, moi aujourd’hui je travaille au collège donc même au DNB il y a des questions, il faut répondre à des questions de lecture, donc il faut quand même rendre les élèves opérationnels sur des questions de lecture pour qu’ils soient bons en réponses, donc nous traitons aussi les questionnaires dans notre méthode de lecture mais tout le cœur n’est pas là , le cœur est vraiment dans un enseignement à l’oral pour rétablir les liens de causalité, l’intentionnalité des personnages et tout cela se fait à travers la restitution de récit.
Importance de la restitution du récit par l’enfant et de la verbalisation des liens de causalité
Nous allons entrainer l’enfant à restituer le récit, c’est-à-dire que nous allons lui raconter l’histoire, nous allons lui demander de nous la raconter, parce que demander à un enfant de nous raconter une histoire c’est la meilleure façon en vérité de savoir ce qu’il en a compris. Ce n’est pas du tout avec des questions de lecture. La meilleure façon de savoir si votre enfant quand il revient de l’école a bien compris le film qu’il est allé voir avec sa classe ou s’il a bien compris la lecture suivie qui est en cours dans sa classe, c’est de lui demander de vous raconter. Et quand il vous raconte l’histoire et qu’il est capable de restituer tout l’implicite et qu’il est capable de rapatrier les intentions des personnages, qu’il est capable de verbaliser les liens de causalité et bien c’est qu’il a compris. Donc le meilleur outil que nous ayons dans cette méthode pour évaluer la compréhension de l’enfant, pour voir où il en est de son apprentissage de l’histoire, c’est vraiment de lui faire raconter. C’est pour cela que dans le protocole pédagogique il y a toujours des restitutions de récits qu’on va enregistrer ou non, qu’on va faire écouter à l’enfant pour lui faire entendre les manques dans son récit ou dans le récit de ses camarades de classe et souvent il va manquer tout ce côté de résolution de l’implicite et du coup c’est cela que nous allons essayer de rendre apparent dans le cœur des séances, que ce soit sur les intentions des personnages ou sur les liens de causalité.
Le pictogramme loupe et les engrenages : les réponses extractives et la création de la culture littéraire (primordiale)
Donc nous avons le pictogramme cerveau et le pictogramme loupe. Cette loupe c’est pour les réponses extractives, c’est-à-dire qu’il y a aussi des choses toutes simples que l’élève doit savoir repérer, comme trouver les personnages qui sont en général cités dans le texte et qui représentent une information extractive. Donc on a cette loupe, on a ce cerveau, on a l’ampoule (pour les inférences) et les engrenages (pour les inférences avec apport de connaissances extérieures). Il y a différentes types d’inférence, différents degrés d’inférence également, il y a des inférences que l’élève va pouvoir réaliser en se servant d’indices qu’il va trouver dans le texte et enfin, il y a des inférences que l’élève ne pourra résoudre que grâce à ses connaissances antérieures qu’il aura de cette situation. Dans ce cas précis, la réponse n’est pas dans le texte, il n’y a aucun indice et pourtant il est capable de se représenter la situation parce qu’il a des connaissances qui sont extérieures. Donc, l’enjeu de la méthode, c’est aussi de créer des sortes de réseaux de lecture où en fait nous allons faire des liens, des liens entre l’élève et la culture, des liens entre un texte et un autre texte, c’est ce que nous appelons en littérature, l’intertextualité. Il y a un texte que je ne traite pas dans la méthode mais qui s’appelle le petit chaperon vert : il n’y a aucun intérêt à enseigner à travers le petit chaperon vert si l’enfant n’a pas la référence première du petit chaperon rouge. En fait il est impossible de comprendre le petit chaperon vert si dans notre culture nous n’avons pas la référence du petit chaperon rouge. Par exemple, j’utilise un texte (on n’a pas encore l’autorisation donc je ne sais pas si on va pouvoir l’exploiter) qui s’appelle le gentil facteur, et le gentil facteur en fait c’est un facteur qui distribue du courrier à tous les personnages des contes de fées traditionnels, boucles d’or, Cendrillon, le géant de Jack et le Haribo magique… Et si on ne connait pas ces textes patrimoniaux on ne peut pas comprendre le gentil facteur, donc il y a tout cela dans l’enseignement de la compréhension à construire : la culture littéraire de l’enfant qui lui permettra de faire des inférences de haut niveau, de faire des liens tout simplement donc si je n’ai pas les références, il n’est pas possible de faire des liens et donc, nous devons rétablir dans la population scolaire qui est la nôtre, toute l’hétérogénéité des connaissances des uns et des autres.
La création de différents groupes de compreneurs, de niveaux
Nous n’avons pas tous le même environnement culturel, socio-culturel, familial, nous n’avons pas tous les mêmes références et le but de l’école est de lisser ces différences-là et c’est pour cela que nous ciblons les élèves prioritaires même si nous allons construire la culture littéraire avec toute la classe. Et c’est pour cela aussi que nous avons fait le choix d’être dans une méthode de lecture avec différents groupes de besoin : des petits compreneurs, des moyens compreneurs et des grands compreneurs. En effet, si un enfant a déjà toutes les références, il ne va pas travailler de la même façon qu’un enfant qui ne les a pas. L’enseignant va donc se focaliser sur les petits compreneurs même s’il va donner des tâches à leur mesure aux autres. Mais c’est pour cela que nous fonctionnons souvent en 3 groupes de niveaux, de besoin, mais les stratégies par contre ce sont des stratégies pour tous, tous doivent maîtriser les stratégies, par contre tous ne vont pas les exercer de la même façon. En effet, très vite on va avoir un groupe de 6-7 élèves qui va devenir autonome en déchiffrage et en compréhension, c’est pour cela que nous avons les textes de lecture autonome qui permettent de réinvestir des stratégies que nous avons vu de façon explicite.
Donc la visée d’un enseignement explicite des stratégies est en priorité de les verbaliser. Après, tout ne se caricature pas comme cela, ce sont de clefs que nous donnons parce que quelqu’un qui n’a pas d’outils et qui va s’équiper d’une méthodologie va quand même pouvoir réfléchir sur le texte mais après c’est un pari, je ne sais pas si cela va marcher mais en tout cas moi je l’ai vu fonctionner à l’école maternelle, dans le cadre de l’expérimentation sur Narramus. Je l’ai expérimenté aussi dans mes classes de CP il y a longtemps. Je sais que cela fonctionne et c’est pour cela que c’était important. Alors aujourd’hui, lorsque vous regardez les méthodes de lecture c’est quand même dans l’air du temps de rendre explicite les stratégies de compréhension et nous en tout cas dans notre méthode de lecture on est conscient qu’on a simplifié les choses, la compréhension ne se résume pas à notre cerveau, à nos engrenages et à notre loupe et ampoule mais il fallait rendre les choses très visibles et je me dis que si les élèves arrivent à réaliser des inférences, s’ils sont capables de restituer tous les éléments que je vous ai cités dans la carte mentale, s’ils sont capables de faire des liens entre les textes alors nous aurons gagné en efficacité.
Le problème français de l’interprétation
Les élèves français ne sont pas très bons en compréhension, mais ils ne sont pas doués en interprétation surtout. Dès lors que nous leur demandons de donner leur avis, eh bien ils sont en difficulté. Pourquoi ils sont en difficulté ? En vérité, on ne leur demande jamais leur avis, on leur demande toujours de répondre à des questions de lecture donc les réponses sont données et on ne leur demande jamais « A ton avis, est-ce que ce personnage a le droit de rêver » … Par exemple je traite une histoire où le poisson veut devenir un chat et je leur pose la question « qu’est-ce qu’on doit lui dire à ce personnage ? On doit lui dire « N’importe quoi, tu ne seras jamais un chat, tu es poisson, tu ne peux pas devenir un chat. Est-ce qu’on lui brise ses rêves ? Est-ce qu’on le laisse croire qu’un jour il pourra devenir un chat ? »
En vérité il y a des enfants qui vont être très terre-à-terre et qui vont vous répondre « Non » tout simplement mais ce que j’attends c’est qu’il y est un débat dans la classe, si j’ai envie de devenir princesse et bien pourquoi je ne deviendrais pas princesse un jour ? Et donc là la réponse n’est pas donnée par le texte, c’est vraiment ce que je projette du texte et j’en viens donc au dernier pictogramme qui me tient à cœur et c’est donc le cœur justement.
Le pictogramme cœur et l’importance de créer un lien affectif avec le texte
En réalité, pour pouvoir comprendre un texte, il faut y retrouver quelque chose que nous aimons et par conséquent, il y a souvent dans le carnet d’apprenti lecteur, le fait de recopier le titre par exemple car il faut créer un lien avec le support affectif qu’on utilise et souvent je vais leur demander quel est leur épisode préféré ? ou leur personnage préféré ? Parce qu’il faut créer des ancrages affectifs avec les textes qu’on travaille avec eux parce qu’ils sont petits mais aussi parce que tous nous apprenons à partir de supports ou de sujets en général qui nous parlent, qui parlent à notre cœur. Donc c’est un pictogramme qui n’a rien à voir avec une stratégie pour le coup mais qui a tout à voir avec ce que nous devons mettre de nous dans les réponses que nous formulons. Et c’est pour cela que leur apprendre à donner leur avis dès le plus jeune âge et bien c’est faire le pari que quand ils vont arriver en CM1 au moment des enquêtes PIRLS par exemple, ils vont être capables de donner leur avis ou d’interpréter avec un point de vue qui est singulier et surtout individualisé et qui n’est pas la pensée commune. Et nos élèves ne sont pas très bons car on n’enseigne pas du tout de cette façon (ou très peu en tout cas).
L’enseignement de la compréhension à l’oral
Je tiens à ce que l’on enseigne la compréhension à l’oral, parce qu’en réalité c’est à l’oral que tout se passe pour décharger les élèves de la charge mentale de la lecture, de l’écriture et du déchiffrage. Nous traitons beaucoup les questions de compréhension à l’écrit et c’est peu propice au débat, peu propice à l’élaboration d’hypothèses et nous allons beaucoup moins vite à l’écrit. Au départ, j’avais très peur de ce choix de carnet d’apprenti lecteur car je craignais que nos attentions soient dévoyées, mais je comprends que dans une méthode il y ait besoin d’un support écrit.
L’importance du guide pédagogique
Je ne veux surtout pas qu’un enseignant pense qu’il va enseigner la compréhension à un élève en lui faisant écrire ou en lui faisant réaliser des exercices, c’est pour cela que j’insiste sur la restitution du récit. Dans le guide pédagogique, j’ai eu l’occasion de déployer cette méthodologie-là mais c’est vrai que si un enseignant achetait le carnet d’apprenti lecteur, sans acheter le guide pédagogique ce serait catastrophique pour la compréhension qu’il aurait de la didactique de la compréhension. Aujourd’hui, il y a de la littérature sur la question de la didactique de la compréhension donc j’espère que ça ira. On avait à cœur de faire de cette méthode un outil de formation pour les enseignants pour pallier ce que nous voyons quand nous sommes en classe et que l’enseignement de la compréhension est un peu laissé de côté mais surtout il y a cette représentation forte chez les enseignants que l’on ne peut apprendre à écrire un texte que lorsqu’on sait déjà lire ( ce qui est totalement faux parce qu’en école maternelle l’élève écrit des phrases et ne sait pas la lire), et qu’on ne peut apprendre à comprendre que si on sait déchiffrer, ce qui est totalement faux. Et c’est pour cela qu’il faut vraiment dissocier les deux aspects : déchiffrage et compréhension.
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